SANTE
Médecine des villes, médecine des champs
Que ce soit à travers l’image bien connue du cabinet de son médecin de famille, les murs blancs d’un box d’urgence, voire dans un grand hall en se rendant auprès d’un proche hospitalisé, nous avons tous une histoire personnelle et un rapport intime à la santé et aux soignants. Nous les voyons courir partout, se démener jour et nuit, brancarder, panser, écouter, soulager, rassurer, opérer, souvent avec les moyens du bord. Fussent-ils à peine suffisants. Ils vont jusqu’à s’oublier eux-mêmes et répondent toujours présents malgré l’absence de prise en compte de leurs plaintes, depuis plus de vingt ans. Rappelons ici, durant la première vague COVID, l’incroyable mobilisation d’infirmières, d’aides-soignants, de chirurgiens-dentistes, d’internes, des quatre coins du pays vers l’Ile-de-France pour venir prêter main forte, sans qu’aucun accord ne soit établi, par pur engagement.
Nous nous sommes longtemps targués d’avoir le plus beau système de santé du monde. La tournure est belle et rend hommage aux soignants. Est-elle vraie ? Posons-nous la question suivante : Préfèrerais-je me faire soigner dans un autre pays ? Serais-je plus heureux de tomber malade aux Etats-Unis ? En Egypte ? En Chine ? En Colombie ? Je crois que la réponse est évidente.
Pourtant, celui-ci est en souffrance. Jamais l’adage « les cordonniers sont les plus mal chaussés » n’a trouvé meilleure représentation.
D’une part, l’hôpital ouvre ses portes au tout-venant, même sans ressource, même sans papier, même violent, même agressif, sans poser la moindre limite, par une abnégation totale et se retrouve face à de plus en plus d’afflux. De plus en plus de demande, de besoin plus ou moins vital et plus ou moins urgent, de santé, de prise en charge sociale, de prise en charge psychologique. Face à cette augmentation, en parallèle et en contre-sens total, les ARS (Agences Régionales de Santé) demandent aux hôpitaux des "efforts ". Traduisons simplement ça par : « vous coûtez trop cher ». Ainsi, si une infirmière est capable de gérer dix patients, il est probable qu’on lui demande un jour d’en gérer douze, puis quatorze, et puis pourquoi pas vingt ?
Les aides-soignants, garants de l’hygiène de ceux qui ne peuvent plus sauvegarder eux-mêmes leur dignité, se retrouvent seuls à devoir faire des toilettes pour des étages entiers. Les médecins sont confrontés à des saturations de services. On nous a vendu l’idée selon laquelle plus d’administratif faciliterait la gestion. Au final, il manque de lit, de bras et d’humain. Pourtant ce n’est pas faute de dénoncer, de demander, de négocier, et ce dans l’intérêt du patient, toujours. Malheureusement l’achat de matériel, du plus gros IRM au plus petit lange, sur lequel tout le monde va se retrouver un jour d’ailleurs, passe par la soumission au budget. Il est évident que l’argent est précieux et ne doit pas être jeté par les fenêtres ni gaspillé. Ceci étant, comment justifier que quelqu’un reste sur un brancard pendant vingt-quatre heures sans même un drap ? Comment justifier de ne pas pouvoir hospitaliser quelqu’un par manque de lit disponible ?
N’oublions pas que, en pleine première vague COVID, le directeur de l’ARS du Grand Est avait fait circuler une note au CHU de Nancy réclamant des fermetures de lit. A cette période, pour rappel, les internes travaillaient non équipés et dormaient dans les couloirs des unités covid sur des matelas de fortune. Ce fameux directeur a été limogé en avril, pour autant son remplaçant ne va pas demander autre chose que plus d’efforts, donc moins de lits, moins de personnel, pour plus de malades. Si l’on ne fait rien, tout cela ne peut aboutir qu’à la disparition du système hospitalier public.
D’autre part la campagne avec ses maisons de santé et ses cabinets. Sont-ils épargnés du fléau de la suradministration ? C’eut été trop beau. Avoir une activité libérale, en France, en 2020, est un défi qui relève plus du sacerdoce que de la promenade de santé. La situation est commune pour les infirmières, les sages-femmes, les kinésithérapeutes et les médecins. Entre les contraintes administratives, la dégressivité des cotations d'acte et la forfaitisation des rémunérations, tout s'est progressivement, avec le temps, complexifié. Un médecin généraliste passe en moyenne une demie à une journée entière par semaine aux tâches administratives. Affublé du rôle de médecin traitant, il se retrouve à jongler entre toutes ses casquettes pour tantôt remplir un dossier d’aide sociale, tantôt coordonner un réseau de soin qui s’établit localement, tantôt jouer le rôle de médecin scolaire car ces derniers ont quasiment disparu, en parallèle d’une activité de soins qui ne diminue pas.
La nécessité d’un contrôle des abus, légitime, a malheureusement engendré un outil parfois trop lourd et trop chronophage. Les patients le remarquent : l’ordinateur est omniprésent et semble absorber leur interlocuteur. Ne pourrait-on pas envisager un système qui, tout en permettant un visuel sur les pratiques, prioriserait la relation soignant-soigné ? Ne serait-ce pas là un des moyens pour permettre de dégager du temps de soin supplémentaire ? Il semble que le système actuel prenne le pire du libéral et le pire du salariat. La précarité du libéral, illustrée par quatre-vingt-dix jours de carence, des charges importantes, se voit contraindre à une forme de lissage des pratiques, illustré notamment par les débats actuels rendus publics sur la liberté de prescription. Tout ceci constitue un frein évident aux installations et aux vocations.
Ainsi, qu’il s’agisse de l’hôpital ou du cabinet, en ville ou à la campagne, la suradministration entraine une saturation du temps du soignant, soustrait au temps de soin propre. La mélodie est la suivante : « Plus de temps dans les papiers, moins de temps à écouter. Plus de temps à remplir des cases, moins de temps à rassurer. Plus de temps à administrer, moins de temps à soigner ».
De fait, il est temps de revoir les priorités de la Santé et de replacer le soignant, celui qui soulève, celui qui nettoie, celui qui guérit, aux commandes.