ECONOMIE
Plus d’investissement en R&D pour permettre à la France
d’affronter la mondialisation de l’économie.
La France est championne des pays de l’OCDE dans le soutien public direct et indirect à l’effort de Recherche et Développement de ses entreprises. Nous damons le pion à la Fédération de Russie que nous talonnions depuis des années.
Le diagramme ci-dessous indique les dépenses de R&D des entreprises directement financé par l’état (subventions et avantage fiscaux) en 2018 en % du PIB.
(Chiffres OCED publiés en mars 2021) [1].
L’Allemagne est classée 30eme, derrière l’Espagne et devant le Danemark. La France apporte un soutien de 0.4% de son PIB pour aider ses acteurs économiques dans ce domaine. La moyenne des autres pays de l’OCDE est de 0.18%, l’effort public de l’Allemagne dans la R&D est lui inférieur à 0,07% [1].
Le Crédit Impôt Recherche (CIR) est le moteur le plus important de notre politique fiscale en faveur de la Recherche et Développement, avec environ 6.5 Mds d’Euros il représente « 60% de l’ensemble des aides publiques à l’innovation » et occupe la deuxième place en matière de dépense fiscale du budget de l’État [2].
Personne ne saurait raisonnablement remettre en cause cette « cathédrale fiscale » que représente le CIR. Et de fait, le démanteler pénaliserait ces entreprises Françaises déjà trop peu nombreuses qui investissent dans l’innovation.
Mais voyons si cet effort public a été récompensé.
Les dépenses de recherche et développement intérieur (DIRD) en France représentaient en 2018 :
51.8 Md€, soit 2.2% du PIB [3]. Certaines statistiques essaient de grossir le trait en ajoutant le dépenses de R&D que les entreprises sous contrôle Français réalisent à l’étranger (le DNRD), celui-ci culmine alors à 56,3 Md€. En 2018, l’Allemagne pour sa part consacrait à son effort de Recherche et Développement 105 Md€, ce qui représente 3.12% de son PIB [4]. Zoomons maintenant sur la différence réelle d’investissement dans la R&D de part et d’autre du Rhin.
Sources OCDE[1][5] et DESATIS [3]
Les entreprises Allemandes dépensent presque 2.9 fois plus (70 Md€) que celles de France (24,7 Md€) pour développer des technologies et des produits innovants.
Cette photo de la situation date de 2018 : c’est-à-dire avant la crise du COVID. On peine à imaginer ce que sera la situation à la sortie de ce tunnel.
Elle résulte de décennies d’errance dans notre politique industrielle. L’évolution amorphe de nos dépenses de recherche, pourtant dopée par la fiscalité la plus généreuse du monde en matière de soutien à l’innovation est affligeante. Ici la vue historisée depuis 2009 des dépenses de R&D d’un certain nombre de pays significatifs.
OCDE (données extraites en Mars 2021)
Nous ne sommes pas en bas du tableau mais quelques commentaires s’imposent sur les 3 pays qui sont en dessous de nous. Ecartons l’Italie dont la situation économique est mauvaise depuis de nombreuses années. Le Royaume Uni a un modèle social bien moins généreux que le nôtre et marché du travail très flexible au prix d’une grande précarité quant au Canada il déborde de ressources naturelles dont nous sommes dépourvus.
Revenons à la France. Sur les 12 mois de février 2020 à janvier 2021, l’ensemble du déficit commercial tombait à -80,9 Md€ [7] si l’on exclut des flux les dépenses militaires, en ajoutant les exportations/importations d’armes notre déficit n’est que de -64.1 Md€ [9]. Désolant !
Rappelons que l’excèdent commerciale de l’Allemagne s’élevait lui a 179Md€ en 2020 [6]. Il est bien normal alors que les citoyens Allemands considèrent la mondialisation comme bénéfique pour leur pays. Elle est bien loin la startup-nation d’Emmanuel Macron.
Cet écart avec notre principal rival économique a des conséquences dramatiques pour notre compétitivité et notre marché du travail. Combien d’emplois sont détruits en France par le fait que nous envoyons nos devises en Asie (42 Md€ de déficit en notre défaveur [7]) ou dans le reste des pays européens (48 Md€ de déficit en notre défaveur [7]) : des centaines de milliers assurément. Ne parlons pas des pertes de recettes fiscales car l’activité domestique en génère davantage que l’activité importée surtout quand elle n’est soumise qu’à peu ou pas de droits de douanes.
Comment avons-nous pu laisser notre économie en arriver là ?
La hausse continue du cout du travail est un élément d’explication mais il n’est pas le seul. Y’a-t-il une raison valable permettant de justifier la réussite des Allemands, Suédois, Coréens et le retard français, alors même que ces pays disposent de niveaux de salaires moyens comparables voire supérieurs à celui de la France (pour ce qui est de l’Allemagne et de la Suède par exemple) [8].
Ces pays ont beaucoup misé sur l’innovation afin de constituer des filières d’excellence où le facteur prix est atténué par l’attractivité du produit.
La réindustrialisation de la France est indispensable afin de maintenir notre niveau vie et la qualité de nos services publics, dont la remise en cause est difficilement acceptable. Mais pour produire quoi ? Relocaliser des fabrications à faible valeur ajoutée est illusoire c’est donc c’est sur des produits innovants et de haute qualité qu’il faut concentrer nos efforts.
Nous devons élargir la gamme de produits dans laquelle l’industrie française excelle déjà (aéronautique, luxe, agro-alimentaire, nucléaire, traitement des déchets et de l’eau, BTP, transports, cosmétologie, pharmacie).
Baisser le cout du travail en modérant les charges sociales est une des pistes mais elle est très insuffisante pour se repositionner en concurrent des pays de l’Allemagne des pays asiatiques en pleine remontée de la chaine de valeur.
Les femmes et hommes politiques de Gauche et de Droite, sont tous unanimes pour qualifier le camp national d’incompétents économiques. Nous serions les ignorants, voulant refermer notre pays sur lui-même, stigmatisant les étrangers, la mondialisation, les institutions Européennes que sais-je encore, ils sont les sachants. Ce sont eux qui nous ont conduit là. Qu’ils viennent débattre avec nous de ce désastre, plutôt que de nous dénigrer. Qu’ils rendent des comptes aux Français.
L’Israël et son gouvernement que certains aiment à qualifier de « populiste » consacre 4.93% de son PIB à la recherche et développement[5] en croissance constante depuis des années, et accorde moins de 0.1% de son PIB en avantages fiscaux à ses entrepreneurs. Comment oser soutenir que les Populistes vont refermer le pays sur lui-même ?
Ouvrons le débat sur la mise en œuvre d’un choc d’investissement en matière de recherche et d’innovation. Ajoutons des dispositifs complémentaires améliorant le CIR et refondons la politique industrielle du pays.
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Ne serait-il pas utile d’orienter le CIR sur entreprises dont l’essentiel de l’activité productrice est en France et sur celles qui exportent ?
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Ne devrait-on pas accroitre l’attractivité des placements destinés à financer l’innovation comme le FCPI pour soutenir cet effort ?
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Pourrait-on imaginer que l’Etat accompagne davantage les entreprises sur la R&D en dépassant le principal biais de l’incitation fiscale? Par exemple en structurant de façon plus pro-active les liens entre recherche universitaire et entreprises.
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Pourrait-on a bien plus grande échelle proposer des financements largement garantis par l’Etat sur les dépenses de recherche notamment pour les PME et les entreprises nouvelles ?
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Pourrait-on inciter plus largement et de façon plus efficace et coordonnée la collaboration entre entreprises, universités et centres de recherche publics. ? Le fossé entre Entreprise et Université mérite assurément une tribune à lui seul, surtout en se comparant aux universités anglo-saxonnes.
Renforcer la R&D dans l’économie française c’est relancer notre industrie et donc aider le pays à affronter la mondialisation pour le bénéfice du plus grand nombre car une économie compétitive c’est plus d’emplois pour tous, plus de revenus et plus de recettes fiscales pour financer notre modèle social et nos services publics auxquels nous tenons tant. Il nous faudra 20 ans pour rattraper notre retard alors commençons sans tarder.
* avec la contribution de Frédéric Amoudru.
[1] : OECD : Measuring Tax Support for R&D and Innovation (March 2021) http://www.oecd.org/sti/rd-tax-stats.htm.
[2] : Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation / CNEPI (Mars 2019) : L’impact du crédit d’impôt recherche.
[3] : Les entreprises en France, édition 2020 – Insee Références : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/4986809/ENTFRA20-F16.pdf
[4] : DESTATIS 2020 sur https://www.research-in-germany.org/en/research-landscape/facts-and-figures.html
[5] OCDE (2021), « Dépenses intérieures brutes de R-D » (indicateur), (données extraites le 27 mars 2021). https://doi.org/10.1787/49ef953e-fr
[6] Les Echos / DESTATIS (février 2021) https://www.lesechos.fr/monde/europe/en-allemagne-le-cru-2020-des-exportations-a-ete-le-plus-mauvais-depuis-2009-1288613
[7] Ministère des Finances LeKiosque : Analyse pays : Ensemble CAF-FAB hors matériel militaire (mars 2021) https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/A129/data_cvs.asp?serie=Z1002&r=1
[8] Salaires Moyens des Pays de l’OCDE chiffres 2019 https://data.oecd.org/fr/earnwage/salaires-moyens.htm#indicator-chart
[9] Ministère des Finances LeKiosque Echanges FAB-FAB, en Fev 2021 : https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/conjoncture/fab.asp
Francois-Xavier Beorchia est Ingénieur de l’ENSIIE, titulaire du Master in Business Administration de l’Université Paris-Dauphine-PSL et de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Multi-entrepreneur il a occupé diverses fonctions de cadre supérieur à l’international dans des entreprises high-tech Américaines, Allemandes, Japonaises et monté plusieurs Start-ups dans l’industrie et le secteur des logiciels.