top of page
Negotiation of Turkey and European Union.webp

DIPLOMATIE

Que faire de la Turquie ? 

Le « sofagate »: nom donné à la petite humiliation parfumée de misogynie islamique infligée à Ursula Van der Leyen lors de sa visite à Ankara avec le poltron Charles Michel belge francophone libérale et europhile qui s’accommoda fort bien de bénéficier d’un fauteuil aux côtés du sultan élu alors que « madame » était reléguée au sofa. Nouveau point bas dans la relation euro-turque qui certes en a vue d’autres. 

Mais que faire de cette Turquie qui est à nos portes, qui compte des millions de concitoyens dans l’Union, plus les naturalisés allemands, français, belges, néerlandais etc. et qui constitue, ne nous voilons pas la face, un partenaire économique très significatif.  Pour ne parler que de la France notre commerce extérieur avec ce pays frôlait les 15 milliards d’Euros en 2019 (dernière année normale avant le grand choc covid) et devenu assez largement négatif depuis que Renault y a délocalisé une partie de sa production de voitures et surtout de moteurs. Nos 6 milliards d’exportations vers ce pays ne représentent certes qu’environ 1.5% de nos ventes dans le monde mais dans un contexte économique tendu chaque euro compte. Il y également Airbus et Turkish Airlines. Compagnie majeure et en pleine expansion avant la crise sanitaire qui compte 55% de nos avions dans sa flotte et a fait des commandes considérables. Mais comme souvent c’est à l’aune des intérêts économiques allemands qu’il faut apprécier les relations extérieures de l’UE. Avec environ 20 milliards d’exportations vers la Turquie et un excédent de plusieurs milliards la patrie d’Angela qui accueille de surcroit la plus grosse diaspora turque du monde n’est pas encline au clash. 

Il y a bien sûr l’OTAN. Pour la France,puissance nucléaire crédible, le parapluie américain est dispensable mais pas pour la plupart des autres pays de l’Union, Allemagne en tête. Nonobstant l’adhésion historique de la Turquie à l’alliance et la puissance de son armée (735.000 hommes), la dixième du monde et la deuxième de l’OTAN c’est surtout la base aérienne turque d’Incirlik qui constitue un actif stratégique pour Washington depuis les années 1950.  Comme épine avancée de l’Alliance dans le flanc sud de l’URSS puis de la Russie, comme rampe de lancement pour des opérations au Moyen-Orient et en Afghanistan et comme zone de transit pour les troupes américaines impliquées dans la région. 5 000 hommes de l’US Air Force et 50 ogives nucléaires y seraient déployés. Tout cela compte pour le Pentagone et comme nous le savons bien, nos alliés Américains ne manquent jamais de nous rappeler que ce qui compte pour eux doit compter pour nous. La guerre contre Daesh en Syrie a certes tendu les relations entre les deux pays mais pour les USA, la Turquie et son contrôle du Bosphore reste un allié important.  

L’Oncle Sam ne s’est d’ailleurs pas privé d’ingérence dans la question de la relation euro-turque. Souvenons-nous du discours d’Obama au parlement d’Ankara en 2009 : « Laissez-moi être clair : les Etats-Unis soutiennent fermement la candidature de la Turquie à l'UE». Ovationné par les députés il a évoqué « des siècles d'histoire, de culture et de commerce partagés (entre l'Europe et la Turquie) qui vous unissent » et rajouté qu’« une entrée de la Turquie dans l'UE renforcerait le bloc européen ». De quoi je me mêle? Précisons qu’à cette date, Erdogan était déjà premier ministre depuis 6 ans.   

Nous y sommes. 

Cette histoire d’adhésion empoisonne nos relations depuis des décennies. La question de la reconnaissance du génocide arménien de 1915 sur lequel je me garderai de commenter tant le sujet est émotionnel vient un peu plus les crisper et on peut inclure dans une moindre mesure la partition de Chypre en 1974 comme irritant. Cette dernière résultant d’une invasion turque dont l’origine se trouve dans l’aventurisme des colonels grecs visant à réunifier l’ile indépendante à la république hellénique ce qui était totalement inacceptable pour la population chypriote turque et son parrain anatolien.

Mais le fonds du problème est bien cette arlésienne de l’adhésion.  

Les Turcs sont un grand peuple. L’Empire ottoman ne peut qu’inspirer fierté quand on en est un de ses descendants. En tant qu’européen on peut lui reprocher d’avoir jadis occupé la partie orientale de notre continent mais les dégâts et persécutions qu’il a infligé reste objectivement une broutille en comparaison de ce que l’Allemagne nazie et l’empire soviétique lui ont assené. Ceux qui ont eu l’occasion de vivre dans ce pays ou de travailler avec ses citoyens lui reconnaissent d’être fiers, industrieux, entrepreneuriaux, dynamiques, cultivés et hospitaliers.
 

L’erreur historique de l’élite européenne fut de se laisser abuser par l’aspiration européiste de l’élite stambouliote très laïcisée pour qui l’entrée dans la CEE puis l’UE permettait de consolider l’occidentalisation entreprise par Kemal Atatürk contre l’atavisme anatolien. La première demande d’adhésion date de 1987 et en 1999 la candidature d’Ankara est reconnue lors du Conseil d’Helsinki. L’ouverture des négociations avec le pays intervint en 2005 et correspondit à un tournant historique pour le projet européen dans le cadre d’un élargissement aux Etats de l’ ex-Union soviétique qui certes ne s’est pas fait sans douleur mais n’a pas suscité les vives réactions qui entourait la candidature turque et dont les raisons sont parfaitement identifiées : histoire (Arménie, conflit avec la Grèce et Chypre), démographie (80 millions d’habitants au niveau de vie nettement inférieur à celui du reste de l’UE), géopolitique et soyons honnêtes la religion et son corollaire identitaire.

Dépités les Turcs constatent que les pays d’Europe centrale, les pays baltes ainsi que les très contestables Roumanie et Bulgarie (corruption, état de droit) furent admis en un temps record alors que l’on oppose à Ankara des arguties sans fin. Les sondages européens marquant un rejet franchement majoritaire à cette adhésion tout comme les déclarations de nombreux leaders du continent convainquent progressivement les Turcs que l’on ne veut pas d’eux et que c’est bien l’Islam le problème. Le tout dans un contexte de radicalisation islamique de la majorité d’une société qui n’échappe pas à la dérive de l’ensemble du monde musulman.

Les turcophiles européens et les europhiles turcs faisaient le pari assez invraisemblable, car ignorant les fondamentaux identitaires de part et d’autre du Bosphore, qu’une adhésion rapide permettrait de faire basculer définitivement le pays dans l’européanité et le sécularisme. 

C’est cuit et pour très longtemps.  

Mais en dépit de cette éclatante réalité et de l’opposition claire des peuples du continent certains dirigeants européens et la Commission continuent avec Erdogan le petit jeu du « si vous faites davantage d’efforts dans tels et tels domaines peut-être qu’un jour….. ». 

C’est humiliant, malsain et générateur de rancœurs compréhensibles pour nos amis turcs. 

Il est temps de mettre un terme définitif à cette ambiguïté et de redémarrer nos rapports sur des bases nouvelles. 

Oui vous êtes une grande nation avec qui nous voulons avoir des relations denses et fructueuses mais non vous n’êtes pas une nation européenne. Ne le prenez pas comme un dénigrement car être européen n’est pas une surhumanité ou un label de qualité. C’est essentiellement une réalité identitaire et géographique. A cet égard il faut définitivement en finir avec l’imposture qui consiste à justifier l’appartenance de votre pays à notre communauté par les 300km2 de la rive occidentale du Bosphore sur lesquels flotte le drapeau au croissant étoilé alors que 97% de votre territoire se trouve en Asie. La France se revendique t’elle d’être une nation sud-américaine en raison de la Guyane ou africaine en raison de Mayotte ?     
 

Et oui, l’entrée de plus de 80 millions de musulmans dans notre union nous pose un problème fondamental. Voilà c’est dit. 

Sans tomber dans la trivialité cela ressemble à cette mise au point qui s’impose quand dans un rapport d’attachement une des deux parties ne souhaite pas aller au-delà de l’amitié et se voit obligée de le dire à l’autre qui en attend plus. 

Toutefois cette mise au point ne suffit pas, il faut également définir ce que nous voulons et nous ne voulons pas. 

Des échanges commerciaux soutenus bien sûr, des coopérations qui font sens dans tous les domaines oui, le maintien dans l’OTAN d’accord, tout comme l’appartenance aux ligues sportives européennes (UEFA, etc ).   

Mais aussi des lignes rouges écarlates:
 

  • Pas d’immigration turque supplémentaire donc maintien des visas 

  • Pas de provocation et d’hostilité à l’égard de nos frères grecs

  • Aucune ingérence dans nos affaires intérieures et dans la gestion de l’islam d’Europe au travers de l’activisme communautaire turc 

  • Vous gardez les migrants qui viennent sur votre sol pour ensuite rejoindre l’Europe. Faites-en ce que vous voulez, nous on en veut pas.

  • Pas de soutien aux mouvements islamistes au Moyen-Orient et ailleurs.  
     

Au risque de choquer je pense nous n’avons pas à intervenir dans le conflit turco-kurde. Chypre on s’en fout. Nous reconnaissons le génocide arménien mais nous ne pouvons pas forcer les Turcs à en faire autant et cela ne fait aucun sens, malgré les pressions de nos communautés arméniennes, de mettre cette question qui date de plus d’un siècle dans la balance de nos relations. Quant aux ambitions géopolitiques -d’Ankara dans sa sous-région d’Asie-Mineure, d’Asie-Centrale et du Moyen-Orient nous devons la considérer comme un succédané à son ambition européenne tant qu’elle ne s’attaque pas à nos propres intérêts et ne prend pas pour cible les Chrétiens d’Orient et l’Arménie.

Il serait peut-être un peu provocateur de dire que dans le dialogue euro-turc il faut :

« remettre l’église au milieu du village » mais Erdogan s’étant affranchi de la décence avec la réislamisation de Sainte Sophie, n’hésitons pas !         

Frédéric Amoudru

bottom of page